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Pourquoi si toutes les bières sont acides, toutes ne sont pas des bières acides ?

 

– Non mais vous vous faites des bières acides  – Mais toutes les bières sont acides

 

Introduction – De la saveur acide au pH

 

De par son origine, l’acidité est intimement liée aux boissons. Presque toutes (ou peut-être même toutes) les cultures humaines modernes utilisent des organismes de manière à ce que les aliments qui ne sont pas acides le deviennent. La préparation de ces ferments acides est antérieure aux origines même de l’agriculture. Par la suite, les grecques et les romains utilisent l’adjectif latin ăcîdus, signifiant « aigre, piquant» pour désigner une acidité déplaisante. Durant l’Antiquité les romains utilisent toujours cette notion d’acidité et le mot acetum pour parler du vin acide ou aceti vinum (analogue au vinaigre), d’où le terme acétique. L’acidité est donc recherchée dans l’alimentation mais sa saveur n’est pas toujours bien perçue. Et pourtant presque toutes les boissons considérées comme rafraîchissantes contiennent une acidité notable. Et la bière ne fait pas exception !

Le sens du goût est essentiel à la vie – il nous indique quels aliments potentiels sont nutritifs, tout en nous avertissant de ceux qui sont toxiques. On a beaucoup appris sur les goûts au cours des 15 dernières années avec des progrès spectaculaires. La plupart des récepteurs ont été identifiés. Les mieux compris des cinq goûts étant l’amer, le sucré et l’umami; des goûts généralement évoqués par des composés organiques. En 2018 (et oui c’est très récent), l’identité du détecteur de la saveur acide a été révélée. Il s’agit d’un canal membranaire appelé Otop1 exprimé dans les bourgeons du goût. Pourtant le goût acide reste plus mystérieux que les autres qualités gustatives. La détection de l’acide est particulièrement unique car elle n’est pas uniquement menée par le système gustatif, elle interagit avec d’autres récepteurs tel que le sucré et possède ses propres neurones dans le cerveau. La perception du goût acide dépend donc de la concentration mais aussi des autres saveurs et peut varier d’une personne à l’autre.

Dès l’antiquité, on a voulu comprendre l’acidité et c’est assez amusant que ce soit un brasseur qui finisse par trouver un moyen de la quantifier. Au début du 20ème sciécle, le chimiste danois Søren Sørensen, travaillant pour le laboratoire de la brasserie Carlsberg à Copenhague, va définir la notion de pH. Cette échelle, maintenant reconnue de tous comme indicateur de l’acidité, est donc le fruit des recherches pour améliorer la bière. Comme nous allons le voir, en plus du goût, les effets de l’acidité joue lors du processus de fabrication et le pH a un rôle primordial dans l’élaboration de notre précieux breuvage. Ce pH (Potentiel Hydrogène), mesure l’acidité d’une solution et est donc un facteur tout aussi important pour la fabrication, que pour les qualités gustatives d’une boisson. Si notable que certains lui ont érigé un style “les bières acides” au même titre que l’autre saveur fondamentale qu’est l’amertume et les fameuses IPA.

Toutes les bières sont par nature acides

 

Le pH est une échelle de 0 à 14, 7 étant le neutre, mesurant le pH de l’eau distillée. Tout ce qui est en dessous de 7 est considéré comme acide et au-dessus basique. S’agissant d’une échelle logarithmique, une diminution du  pH de 1 implique une concentration 10 fois plus élevée. C’est important car une bière perçue comme acide ou très acide a souvent une variation de pH assez faible par rapport à des styles plus classiques et généralement inférieur à 1.

Avec un pH souvent situé entre 4,2 et 4,4, la bière entre donc dans le domaine de la bactériologie acide. Durant le processus de sa fabrication, elle va passer par différents stades pendant lesquels elle sera caractérisée successivement par un pH voisin de 6 à l’empâtage, à un pH de 5,2 dans le moût prêt à être ensemencé par les levures et n’atteindra un pH de 4,5 protecteur que vers le 4ème ou 5ème jour de la fermentation. Car oui, l’acidité protège notre très chère bière tout autant que l’alcool et le houblon.

Si notre breuvage a traversé les millénaires c’est d’ailleurs grâce à cette acidité. Elle la protège des nombreuses bactéries pathogènes et lui procure sa digestibilité. Le contrôle du pH et de l’acidité lors de la fabrication est donc primordial d’un point de vue sanitaire et alimentaire. Mais l’acidité est aussi une caractéristique essentielle de l’équilibre gustatif. 

La fabrication : de l’eau à la bière

 

La nature est bien faite et dans la plupart des cas, le brasseur n’a pas à se soucier du pH. En effet, s’ils sont correctement effectués, les processus de brassage ont tendance à se stabiliser à un pH adéquat. Le pH est donc un facteur souvent passé au second plan ou oublié par les brasseurs. Et pourtant si tout le monde sait que l’on fait tremper des céréales maltées à différentes températures, qui sait comment ça se passe réellement ?

 

L’empesage

 

Quand on mélange le malt à l’eau, lors de la première étape qui a donné le nom au métier de brasseur, on ne commence pas tout de suite à transformer l’amidon en sucre. On observe tout d’abord une diminution du pH dû au changement de la composition minérale. L’interaction entre les phosphates et des acides aminés contenus dans le malt d’un côté et les minéraux de l’eau de l’autre vont créer des précipités qui abaisse plus ou moins le pH du mélange appelé la maische.  On parle souvent de la qualité de l’eau mais elle va subir tout autant de transformation que les céréales pour donner le produit final. Et oui une eau de qualité ne donnera pas forcément une bonne bière surtout si on ne comprend pas ce qu’il se passe.

Ces modifications de la composition minérale et la précipitation des sels de calcium sont responsables de la majeure partie de l’acidité. Cependant, la composition du grain influence également le pH. Si la même eau est utilisée, un moût avec des malts foncés atteindra un pH plus bas qu’un moût composé entièrement avec des malts de base pâles. Une bière brune sera donc en général plus acide.

Le ratio d’eau par rapport au grain pourra également influencer le pH. Le savoir-faire du brasseur consiste donc tout autant à faire une recette pour avoir la couleur et le goût désiré qu’à s’adapter à son eau (ou adapter son eau) pour avoir une bière à l’acidité correcte. C’est aussi pourquoi chaque région avait autrefois un style propre aux caractéristiques de son eau. Des bières claires dans les régions où l’eau était peu minéralisée et des bières foncées quand l’eau était plus dure. La couleur du grain joue sur le pH et inversement le pH joue sur la couleur de la bière. 

Les paliers de température

 

Beaucoup de brasseries utilisent de nos jours une méthode de brassage à température constante, dite mono-palier, visant à transformer simplement et efficacement l’amidon en sucre. Mais quand on s’intéresse aux différents acides présents dans la bière et à l’acidité, on finit par tomber sur l’acide phytique et férulique et aux paliers correspondant. Le premier est généré à des températures assez basses et servait traditionnellement à abaisser le pH. On contrôlait donc le pH depuis des années sans le savoir !

Quant au second, l’acide férulique, il est produit dans une plage de température comprise entre 43 et 45°C et est un précurseur du goût de clou de girofle dans les bières comme les hefeweizen. En plus de rendre les bières acides, certains acides créent donc des goûts.

 

La saccharification

 

Ce n’est que lors de la dernière étape du brassage, à l’empâtage, entre 60 et 68°C, qu’a lieu la transformation proprement dite des sucres complexes constituant les réserves du grain en sucres plus simples qui pourront être fermentés par les levures. C’est là que rentre en jeu les enzymes. Ces différentes protéines vont orienter les réactions chimiques, mais toutes n’ont pas le même pH optimal. On a depuis longtemps admis (sans que des recherches précises aient été menées récemment), que cette infusion devait être comprise entre 5,2 et 5,6 de pH. Cette valeur est un compromis pour qu’un grand nombre de réactions puissent se dérouler correctement.

Mais par exemple, un meilleur rendement et un moût plus fermentescible seront obtenus avec un pH plus bas alors que la conversion sera plus rapide dans la plage plus haute du pH. Ces plages de pH optimales citées dans la littérature brassicole peuvent varier considérablement en fonction de la température, du ratio d‘eau ou si une infusion ou une décoction sont pratiquées. Souvent le brasseur détermine sa méthode de manière empirique et s’y tient presque par superstition.

 

Le rinçage

 

Lors du rinçage de la maische, celle-ci perd sa capacité à maintenir son pH, qui peut augmenter au-dessus de 6,0 et provoquer une extraction excessive de tanins. En effet les enveloppes d’orge maltée contiennent des polyphénols (voir article sur les tanins) et des composés de silice qui sont plus solubles dans des conditions de pH élevé. Les polyphénols peuvent produire de l’astringence dans la bière finie. Un pH optimal lors du rinçage permet également de dissoudre des quantités appropriées de zinc, un nutriment important pour le métabolisme des levures.

 

 

L’ébullition

 

Au début de l’ébullition, le pH du moût chute d’environ 0,2 ou 0,3, principalement à cause de la précipitation de composés à base de calcium. Cela amène le pH du moût à près de 5, ce qui est idéal pour la fermentation de la plupart des souches de levure. Si le pH n’est pas dans la bonne plage la coagulation des protéines n’est pas aussi bonne qu’elle pourrait l’être et la bière pourra être trouble. L’acidité jouera également à cette étape sur la couleur de la bière : les réactions de Maillard étant favorisées à un pH au dessus de 6, la bière aura tendance à se colorer si le ph est élevé. L’ajout d’acides amers du houblon, la précipitation de phosphates libèrent également des protons qui contribuent à l’acidité.

 

La fermentation

 

Pendant la fermentation, le pH du moût va chuter rapidement. C’est un mécanisme de protection naturelle des levures. Au cours des premières 24 heures, le pH tombe d’un pH autour de 5,2 à un pH inférieur à 4,5. Les levures consomment des acides aminés et produisent des acides pour la plupart organiques qui vont également contribuer aux flaveurs du produit fini. À la fin de la fermentation, le pH typique d’une bière à base d’orge est généralement de 4,1 à 4,5 et celui d’une bière à base de blé est légèrement inférieur. 

Effet du pH sur la qualité

 

On reviendra plus en détail sur les qualités gustatives liées à l’acidité mais un processus non adapté qui n’aurait pas une acidité optimale peut conduire à de nombreux problèmes. On peut utiliser les meilleurs ingrédients, si la minéralité de l’eau n’est pas bonne ou pas adaptée à la recette, une bière peut devenir complètement imbuvable. Mauvaise conversion de l’amidon ou trop nombreux sucres non fermentescibles, rendement très faible et taux d’alcool non maîtrisé, astringence, fermentation allongée, incomplète ou faux goûts, bière trouble, mousse qui ne tient pas… La liste est longue !

On a tous le souvenir de cette bière pas vraiment mauvaise, sans vraiment de défaut mais un peu pâteuse. Prêt à parier que l’acidité joue pour beaucoup dans le manque d’équilibre : de l’amidon non converti, des protéines non coagulées qui ajoutent du trouble, une fermentation pas complète et un certain manque de fraîcheur. Des problèmes assez récurrents chez les brasseries qui débutent et qui ont mis en dernier de leur liste l’eau qui est pourtant l’ingrédient principal de la bière. A l’inverse un pH trop bas peut engendrer une sensation d’acidité pas franche et désagréable. L’acidité n’est pas forcément liée à une contamination… Ce n’est pas parce qu’une bière n’a pas de faux goût qu’elle est forcément bonne et plutôt que chercher des défauts, l’équilibre devrait être le premier réflexe du dégustateur !

 

Modification de l’acidité lors de la fabrication

 

Il fût un temps où les brasseurs ne connaissaient pas la chimie de l’eau et déterminaient de manière empirique que certaines bières s’avéraient meilleures que d’autres ce qui a conduit au développement de styles de bière locaux. Mais de nos jours, toute brasserie veut pouvoir brasser tous les styles de bières. A part ajouter du malt acide (ce qui revient à ajouter de l’acide lactique), changer le grain n’est souvent pas une option. On peut donc jouer sur le pH en ajoutant des minéraux ou directement de l’acide.

De nombreux acides peuvent être utilisés pour baisser ou éliminer l’alcalinité mais seuls quelques-uns ont trouvé une utilisation pratique pour le traitement de l’eau de brassage. Le principal étant l’acide lactique (le plus naturel mais qui a un seuil de détection assez bas) mais sont aussi utilisés des acides inorganiques comme l’acide chlorhydrique ou sulfurique ou encore l’acide phosphorique (comme dans les sodas). Comme on l’a vu l’utilisation d’acides change également la composition minéral et peut entraîner un excès d’ions et une dégradation du goût. C’est pourquoi on utilise souvent en parallèle une correction de la minéralité.

Les principaux sels sont utilisés : le gypse (sulfate de calcium), le sel (chlorure de calcium), la craie (carbonate de calcium), le bicarbonate de soude ou les sels d’Epsom (sulfate de magnésium) car en plus de la correction de l’acidité, les ratios de certains minéraux jouent un rôle primordial dans l’équilibre du goût. Mais on s’éloigne de l’acidité et la correction de l’eau mériterait à elle seule un article entier.

 

 

Perception et dégustation de l’acidité

On commence à comprendre comment la bière devient acide mais quelle influence sur le goût ?  

Acidité et style de bières

 

Les bières blondes classiques ont un pH compris entre 4,0 et 5,0. Plus généralement, le pH des bières peut varier entre 3,0 et 6,0. Les styles de bières acides tels que le lambic belge, les Berliner Weisse ou la nouvelle génération de bières acides de fermentation mixte peuvent atteindre un pH en dessous de 3,3. Bien que le niveau d’acidité soit largement déterminé par les acides organiques, le niveau de carbonatation contribue également à la teneur en acidité de ces styles de bière. Il est regrettable que la plage de pH ne soit pas donnée dans les différents guides des styles de bières car c’est un indicateur qui serait très précieux.

 

 

Les différents acides présents dans la bière

 

On a souvent tendance à résumer l’acidité à quelque chose d’assez binaire (acide ou pas acide) et à associer sa puissance au pH; mais la bière est composée d’un grand nombre d’acides (une centaine environ) qui vont tous participer aux saveurs du produit fini. Les acides présents dans votre verre sont divisés en deux catégories : les acides organiques et les acides inorganiques. Eux même subdivisés en ceux qui sont volatils (perçu au nez et qui contribuent au bouquet) et ceux qui ne le sont pas. Tous possèdent un seuil de perception (au nez et en bouche) dépendant de chaque personne et ont des arômes caractéristiques, agréables ou non.

On retient souvent les acides volatils, surtout ceux à chaînes courtes (inf à 5 carbones) car la plupart sont considérés comme des déviances ou des défauts. C’est le cas du fameux acide acétique et de ses confrères l’acide butyrique (goût rance, parmesan) et l’acide isovalérique (odeur de pieds/sueur). Ils sont toujours présents mais heureusement à des concentrations en dessous du seuil de perception et contribue à la complexité de certains style de bières.

Parmis les acides non volatils il y a notament l’acide pyruvique (goût de caramel) , l’acide α-cétoglutarique (goût beurré laitier), l’acide malique (fruité, pomme verte, cidre), l’acide succinique (salé et amer), l’acide lactique, l’acide tartrique (citron amer), l’acide citrique (citron, fruité). La liste est longue !

Une partie des acides provient donc directement du grain (l’acide férulique est l’acide phénolique le plus abondant dans les céréales, notamment dans l’orge), des houblons (les fameux acides alpha et bêta) ou directement de l’eau lors du processus de fabrication de la bière. D’autres acides sont produits par les différentes souches de levures et/ou de bactéries. L’élevage en barrique et la micro oxygénation vont aussi contribuer à développer des acides secondaires, parfois différents, qui contribueront à créer des arômes originaux et/ou apporter de la complexité.

La bière contient donc des acides minéraux provenant majoritairement de l’eau, une large gamme d’acides carboxylique provenant du grain ou transformés par les levures et des acides gras (saturés et insaturés) en plus petites quantités. 

Liste des acides présents dans la bière et seuil de perception

 

Acides volatiles Odeur Concentration

(ppm)

Seuil détection

(ppm)

C1 Formique Piquant 0
C2 Acétique Vinaigre 90 à 300 140
C3 Propanoïque Acre, sueur 0,16 150
C4 Butyrique Beurre, parmesan, vomi 0,62 2,2
C5 Valérique Sueur 0,03 8
Isovalérique Vieux houblon, chaussettes moites
C6 Caproïque Fromage, fruit (ananas) bouc 2,5 8
C7 heptanoïque Rance 0,03
benzoïque Solvant 0,45
C8 Caprylique Savonneux, gras, cire de bougie 6,1 13
Phénylacétique Florale et sucrée (miel) 0,93 2,5
C9 Cinnamique Cannelle 0,5
C10 Caprique beurre, noix de coco, chèvre 0,7 10
C12 Laurique huile de laurier, savon 0,11 6,1
C14 Myristique 0,02
C16 Palmitique Huile de palme 0,05

 

 

L’acidité dans la bière : perception et dégustation

 

Le goût : de la molécule à la saveur

 

Chez les vertébrés, les stimuli gustatifs sont détectés dans les bourgeons gustatifs de la langue et de l’épithélium du palais. En 2018, l’identité du détecteur de la saveur acide a été découverte. Il s’agit d’un canal membranaire appelé Otopretin1 (Otop1) exprimé dans les bourgeons du goût. Le canal Otop1 a été montré comme étant le détecteur de l’acidité en bouche. La détection acide est donc particulièrement unique car elle n’est pas uniquement menée par le système gustatif mais aussi par les neurones innervant la cavité buccale.

Mécanismes de transduction du goût aigre pour les acides faibles et forts. The Journal of General Physiology 2018

 

Le goût acide est donc provoqué à la fois par le stimulus déclenché par les protons mais aussi par les récepteurs du goût. Par conséquent, l’acidité des acides inorganiques est directement liée à leur pH. Pour les acides organiques faibles, le goût acide est lié à la fois à la concentration en protons mais aussi à la concentration en acides organiques protonés. C’est ainsi que les acides organiques sont perçus comme plus acides que les acides inorganiques lorsqu’ils sont dégustés au même pH. Par exemple, l’acide citrique avec un pH de 3,0 est perçu comme plus acide que l’acide chlorhydrique (HCl) au même pH.

Il a été démontré récemment que les cellules réceptrices des goûts sucrées répondaient également aux goûts acides (des récepteurs Otop1). La stimulation directe du cortex du goût sucré et acide déclenche une perception différente de chaque saveurs prises individuellement. Ce qui expliquerait que l’acidité se marie si bien au goût sucré mais également que le goût des acides puisse être soit agréable soit déplaisant selon l’intensité, le contexte, l’apprentissage, les goûts associés ou encore d’autres facteurs jusqu’ici inconnus. 

La bière contient des dizaines de molécules sapides et odorantes et l’analyse gustative en est évidemment compliquée car toutes interagissent. On a souvent tendance à ignorer les acides et à ne garder que les composés aromatiques mais c’est la présence de ces nombreuses molécules différentes qui créent les stimulis qui dessinent les saveurs. La proportion et le type d’acides apportent la diversité et finalement le plaisir de la bière.

Les saveurs acides

 

L’acidité a souvent été réduite à un révélateur de goût ou pour ce qu’elle apporte à l’équilibre. Et pourtant un fruit rouge ou un fruit exotique trop ou pas assez acide n’auront pas la même saveur. Si les goûts sont interdépendants (qu’est ce le goût du pain sans sel ? d’un bonbon sans sucre ?), l’acidité est indispensable dans la construction de certaines saveurs. Une pomme verte sans acide malique ne serait pas une pomme verte et pourtant on va dire que c’est un goût de pomme quand dans d’autres saveurs on nommera expressément la molécule responsable de la saveur. 

L’acide lactique et sa proportion font partie intégrante du goût de n’importe quelle bière et pourtant quand vous faites une recherche sur son apport en saveur dans une bière vous tomberez invariablement sur la définition du faux goût d’acide lactique et quelques lignes plus loin sur les contaminations possibles par des bactéries. Vous lirez que l’acide lactique a une saveur caractéristique de fermentation lactique mais difficile de trouver son odeur et son goût exact quand vous aurez des pages sur les DMS, les THP et autre diacetyl. 

 

 

 

Les mots pour décrire l’acidité

 

Une bière dont l’acidité est bien équilibrée est souvent décrite comme rafraîchissante, agréable, plaisante. Une bière dont l’acidité ne ressort pas bien parait lourde, pâteuse et à l’inverse une trop acide sera vive, nerveuse ou mordante avant de devenir, dure ou acerbe. 

 

 

On a défini dans le vin une échelle et des mots pour décrire l’acidité mais le vocabulaire pour la bière est encore pauvre. A l’heure où certains confondent encore les saveurs amer et acide, il est difficile de définir précisément par des mots une échelle d’intensité de l’acidité dans la bière. D’autant que les bières acides sont un monde nouveau et que les saveurs acides dans l’alimentation se sont réduites à peau de chagrin ces dernières décennies. 

Des dégustateurs vont parler d’acétique dès que l’acidité deviendra trop intense (alors qu’il n’y en a pas forcément), d’autres trouveront systématiquement un goût de yaourt dès qu’il y a du lactique ou vous décrirons comme “citrique” une acidité fruitée et agréable. Difficile de former son palais à des saveurs qui ont souvent disparu de notre alimentation devenue de moins en moins acide. Peut être qu’à force de boire de la bière acide on finira par se réhabituer 🙂

Lien entre perception et analyse

 

Comme dans le vin, on pourrait s’en remettre à des mesures. En plus du ph, on pourrait mesurer l’acidité totale (ou l’acidité titrable) et faire des analyses des acidités volatiles. Mais contrairement au raisin qui est l’ingrédient unique du vin, comprendre et maîtriser l’acidité dans la bière est bien plus complexe. Plus que l’acidité, ce sont les proportions et les types d’acide qui vont jouer sur la perception.

Un Berliner Weiss avec un ph de 3.2 et une acidité totale de 8 g/l mais contenant principalement de l’acide lactique et un peu de sucre résiduel sera perçu comme beaucoup moins acide qu’une Gueuze avec un ph supérieur et un AT équivalent car elle contient un peu d’acide acétique et aucun sucre résiduel. De même que certaines gueuzes peuvent être perçue comme plus acide avec des valeurs moindre du pH et d’AT.

Si des mesures peuvent être utiles, rien ne remplace un bon palais !

 

 

Mais du coup c’est quoi une bière acide ?

 

Il y a encore quelques années, personne ne parlait de bières acides. Les fabricants de lambic, gueuze ou autre berliner ne faisaient que reproduire la tradition et personne n’avait posé une limite entre ce qu’était une bière acide ou non. Ce sont les américains qui les premiers ont commencé à parler de “sour beer”. Un besoin de classer, pour leurs concours, ce qui était plutôt orienté vers le houblon (amertume), le malt (sucré) ou plus porté sur l’acidité. C’est louable en soi mais les bières acides sont actuellement l’un des styles les moins compris et les plus mal définis. 

On confond des méthodes de fermentation (sauvage, mixte, lactique…) avec des saveurs (acides, funky, sauvage…) ou des styles et des méthodes de fabrication (gueuze, lambic, berliner). Des bières produites avec une culture mixte ou sauvage ont parfois une acidité modérée quand dans certaines l’acidité est la vedette. Un regroupement généralisé de toutes ces bières sous le nom “sour”  a entraîné beaucoup de confusion. Laissant même entendre que certaines bières ne seraient pas acides !

Dans un combat pour le goût, on se bat pour redonner de la place à l’acidité et des acides qui ont un goût différent ! Les acidités lactiques et citriques sont brillantes et pétillantes. Les acides malique et tannique sont beaucoup plus profonds et ajoutent de la structure et du tonus. D’autres acides ajoutent des notes complexes ou de la profondeur. Mais si l’acidité est primordiale pour faire une bonne bière, elle ne doit être la composante unique et principale Ce qui compte c’est l’harmonie. 

Toutes les bières sont maltées, toutes les bières sont houblonnées, toutes les bières sont acides mais certaines mettent plus en avant certains atours.

 

 

Conclusion

 

J’aime savoir et comprendre. Je m’amuse en partant d’une page blanche en remettant le compteur de ce que j’ai appris à zéro et en essayant de décrypter chaque processus. Et si certains sujets sont traités à fond, trouver des études sur le rôle de l’acidité dans la fabrication et la dégustation de la bière est une autre paire de manches.

On comprend maintenant mieux l’acidité dans le processus de fabrication mais elle reste la plus incomprise des saveurs et la plus difficile à décrypter. On s’en tient souvent à ce qui a été établi. L’acidité est dure à décrire, les différents acides n’ont pas des saveurs vraiment définies et codifiées par tous.

Comme l’amertume, après une quasi disparition de l’alimentation dû à l’uniformisation de la nourriture, elle fait son retour dans des formes plus variées que l’acide phosphorique et citrique des sodas ingérés par tonnes. Espérons que les récentes découvertes et l’intérêt pour les bières acides nous aideront à décrire toutes ces nouvelles saveurs qui apparaissent dans des bières de plus en plus diverses et que cela nous aide à comprendre et progresser dans l’équilibre et l’harmonie des bières; acides ou non. 

 

1/  Katz S. 2012 The art of fermentation: an in-depth exploration of essential concepts and processes from around the world. White River Junction, VT: Chelsea Green Publishing.

Acid and Volatiles of Commercially-Available Lambic Beers – Katherine Thompson Witrick, Susan E. Duncan, Ken E. Hurley and Sean F. O’Keefe – Department of Food Science and Technology, Virginia Tech, Blacksburg, VA 24061, USA; 

Structural and functional characterization of an otopetrin family proton channel – Qingfeng Chen, W. Zeng, J. She, X. Bai, Youxing Jiang – Biology eLife 2019

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